mardi 31 mars 2015

La Guerre du Mexique d’en haut

@libérons-les

Introduction

Ces dernières années, une guerre contre le peuple mexicain a été déclenchée sous le prétexte d’arrêter le crime organisé et le narcotrafic. Plus de 180 000 personnes sont mortes ; des villages entiers vivent sous le feu croisé des militaires, des policiers et des narcotrafiquants.
Tout le Mexique vit une situation de violence grandissante, d’hostilité majeure contre toute forme de protestation. La militarisation et para militarisation du territoire progresse continuellement.
Cette guerre arrange bien les États-Unis et le système capitaliste. Malgré tout, des milliers de personnes, villages et communautés résistent sans se rendre ni se vendre.
Au Mexique, au milieu d’une politique d’un État criminel, qui a choisi de déclencher une guerre contre la population sous couvert du combat contre le crime organisé, surgissent de nouveaux processus qui marquent des points de rupture, comme dans le cas de Ciudad Juárez où les gens répondent malgré la peur et la mort, par des nouvelles formes d’organisation, non seulement depuis en-bas, mais aussi depuis le souterrain.
Cela a généré de nouvelles façons de faire de la politique, de sortir dans la rue pour dire ça suffit, de construire, là où chacun se trouve, quelque chose de différent, quelque chose d’urgent qui naît et résiste depuis en-bas. En ce moment, au Mexique il y a une menace constante contre les mouvements sociaux et une criminalisation vorace contre les pauvres, les jeunes, les sans-voix.
Un contexte dans lequel les formes indépendantes de recherche de nouvelles possibilités se trouvent dans de nouveaux sujets et de nouvelles formes qui, au delà du visible, construisent une autre façon de résoudre les problématiques, en donnant libre cours aux rêves; des processus organisationnels qui ont surgi à des moments différents, certains d’entre eux inspirés de la lutte zapatiste, de l’Autre campagne, dans des moments conjoncturels et même au cœur des espaces les plus corporatifs, rompant avec les contenants pour réussir à avoir une voix.
Des villages, des villes, des quartiers dans lesquels on ne croit plus en la politique étatique et où, quand il leur est demandé de voter pour qui que ce soit, ils ne voient à nouveau que l’abus et espèrent autre chose, pas les élections, mais quelque chose de plus profond.
Dans cette guerre multiforme l’en-bas organisé survit, résiste et construit sa révolte dans tous les espaces dans lesquels il se trouve, en s’adaptant à un climat de plus en plus violent, en se mettant en lien de différentes façons, en semant des graines de dignité en silence, en-bas, tout en-bas.
Dans cette guerre, ceux d’en-bas organisés ont dû aller au-delà des formes habituelles de lutte, ont dû tracer leurs stratégies, en créant des réseaux de solidarité et d’organisation, en repensant leurs formes de dénonciation, en cherchant dans les autres en-bas de nouveaux compagnons de lutte.
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Ayotzinapa

Mexique : la guerre d’en haut, le cas d’Ayotzinapa parmi tant d’autres.

nosfaltanatodos
C’est une guerre pleine de guerres
Le 12 janvier dernier, les médias dominants mexicains signalaient avec inquiétude les prévisions données par la Banque Mondiale : « La violence en Amérique latine a déclenché les signaux d’alerte, en raison des effets qu’elle pourrait avoir sur la croissance économique dans les années à venir. Les prévisions sont mauvaises », signale la Banque (1). Ceux d’en haut s’affolent, depuis quelques semaines la presse ne fait que nous matraquer avec ces prédictions en s’inquiétant pour la croissance économique censée s’améliorer grâce aux réformes… Mais la réalité d’en bas est toute autre. Ce même 12 janvier, toujours à la recherche des 42 étudiants disparus, les parents des 43 étudiants d’Ayotzinapa et les étudiants, manifestaient devant le 27e bataillon de l’Armée Mexicaine en exigeant l’ouverture d’une enquête spécifique, claire et complète, sur l’Armée Mexicaine, pour sa participation aux faits qui ont eu lieu le 26 et le 27 septembre 2014.
Ces dernières semaines, en bas et à gauche, des centaines de personnes, collectifs, organisations indigènes, non-indigènes, nationales et internationales, convergeaient au Premier Festival Mondial des Résistances et des Rébellions contre le Capitalisme, organisé par le Congrès National Indigène (CNI) et l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN). Là, dans cet espace d’échanges, du 21 décembre au 3 janvier 2015, les rages, douleurs et résistances témoignaient, d’une part du caractère destructeur, prédateur et avide des transnationales soutenues par l’État aux dépends des territoires, villages, et des peuples, mais aussi du fait que le capitalisme s’attaque insatiablement à la résistance, la dignité, l’autonomie, la rébellion… Le capitalisme s’attaque insatiablement à tous ceux et celles qui s’opposent de façons diverses à sa logique de guerre.
Entre les participants et les invités au festival, se trouvaient les pères et mères des 43 étudiants disparus d’Ayotzinapa.
Quelques jours avant le festival, le Sous-Commandant Insurgé Moisés de l’EZLN, signalait dans un long communiqué : « (…) le cauchemar d’Ayotzinapa n’est ni local, ni propre aux États, ni national. Il est mondial. Parce qu’en fin de compte ce n’est pas seulement un attentat contre les jeunes, ni seulement contre les mecs. C’est une guerre pleine de guerres : la guerre contre ce qui est différent, la guerre contre les peuples natifs, la guerre contre la jeunesse, la guerre contre celui ou celle qui, par son travail, fait avancer le monde, la guerre contre les femmes (…) Parce qu’en fin de compte c’est de ça qu’il s’agit, il n’a toujours été question que de ça : d’une guerre, désormais contre l’humanité ». (2)
Le responsable est l’État
Depuis le 26 septembre 2014, nous avons été témoins de la lutte infatigablement digne que les parents des 43 étudiants ont menée avec une grande détermination. Nous avons été également témoins du manque de sérieux et des contradictions et mensonges de la part du gouvernement mexicain sur cet affaire et de son besoin urgent d’en finir avec le cas d’Ayotzinapa.
Combien de fois, les parents ont insisté sur le fait que le Gouvernement Fédéral ne suit pas toutes les lignes d’investigation, comme celle de la participation de l’Armée Mexicaine aux événements des 26 et 27 septembre, dans ce sens, le gouvernement n’a répondu qu’avec le silence et la mascarade… mais pas qu’avec ça.
Le 12 janvier dernier, les pères et les mères de famille des 43 étudiants disparus ont été attaqués par la police militaire pendant la dispersion d’une manifestation réalisée ce jour-là devant les installations du 27e bataillon de l’Armée Mexicaine à Iguala, État de Guerrero, « Au lieu que le gouvernement donne des ordres pour la libération des 43 étudiants, il ordonne d’agresser cette manifestation des parents … Cette action que nous menons, nous les parents, nous l’avons proposée à l’Assemblée Populaire du 3 janvier, là, nous avons décidé ensemble que des manifestations devaient se faire dans les casernes militaires de tout le pays, en raison de l’implication des militaires dans la disparition des étudiants les jours du 26 et 27 septembre » a déclaré Don Melitón, père de famille (3).
Pour sa part, Omar García, membre du comité étudiant d’Ayotzinapa, a assuré : « parmi nos exigences il y a l’ouverture d’une enquête spécifique, claire et complète, contre l’Armée Mexicaine pour sa participation aux faits qui ont eu lieu le 26 et le 27 septembre 2014. Nous avons insisté durant tout ce temps sur cette demande et malgré les preuves et les évidences claires quant à la participation de l’Armée, aucune enquête spécifique n’a été ouverte, des personnes faisant partie de la société civile mexicaine ont donc décidé de soutenir les parents des 43 étudiants dans cette demande » (4).
Suite aux agressions que les parents et les étudiants d’Ayotzinapa ont subies, un communiqué du comité étudiant d’Ayotzinapa a été émis. Dans celui-ci, les parents dénoncent « l’agression lâche qu’on a subie aujourd’hui où l’État mexicain non content de la disparition et de l’assassinat de nos fils et compagnons, refuse l’ouverture d’enquêtes qui toucheraient l’Armée, et nous agresse une fois de plus » (5). Dans cette agression, les parents Mario Cesar González Contreras, Bernabé Abrajam Gaspar, María Concepción Tlatempa et les étudiants Omar García, Sergio Ochoa Campos et José Hernández Peña ont été blessés.
« Ça aurait pu être pire, nous sommes conscients que se rendre dans une caserne militaire n’est pas simple, mais depuis deux mois, nous avons insisté pour qu’une enquête sur la participation de l’Armée soit ouverte, je suis témoin et d’autres encore peuvent confirmer cette version » signale Omar (6)
La réaction immédiate du gouvernement a été d’annoncer la possibilité que les parents des disparus entrent dans les casernes, mais tout de suite après, le secrétaire du gouvernement Miguel Ángel Osorio Chong corrigeait sa déclaration en précisant que l’accès serait accordé uniquement pour l’entrée à la caserne d’Iguala dans l’État de Guerrero.
Omar signale « Nous ne sommes pas dupes. Les compagnons ont été dans la caserne d’Iguala, comme quelques téléphones portables appartenant aux étudiants disparus le démontrent, c’est évident, depuis ils ont été amenés ailleurs » Dans ce sens Omar Garcia fait référence à la localisation que les familles des disparus ont reçu à travers les téléphones portables, comme ce fut le cas de Rafael López Catarino, père de Julio César López qui signale que selon le GPS du téléphone portable de son fils, le dernier endroit où il a été c’est dans les installations du 27e bataillon militaire d’Iguala. « La localisation des téléphones portables n’a pas été étudiée par le Bureau du Procureur Général de la République (PGR), c’est une ligne d’investigation qui n’a pas été prise en compte, il existe la géolocalisation et le suivi de données, chaque appel et chaque message est enregistré et les entreprises de télécommunications doivent garder les enregistrements pendant deux ans ». (7)
C’est bien connu « Que dans le passé l’Armée a transporté des gens où bon lui semblait, vers le Camp Militaire numéro 1, ou bien vers d’autres endroits connus pour être des lieux de torture, d’emprisonnement de personnes disparues, nous savons qu’il y a eu des vols de la mort, des prisonniers politiques, et des ex-guérilleros qui ont été dans ces prisons témoignent du fait que les militaires se chargeaient de faire disparaître des gens. Sans compter les assassins payés par le gouvernement » (8)
« Le bras armé de l’État est l’Armée, et comme tel, elle est ce qu’il y a de plus pourri dans l’État mexicain. Tant que les structures de l’armée ne sont pas remises en cause ça ne sert à rien de changer de gouvernement, ceux qui ont le pouvoir réel au Mexique, ce sont les militaires. Si nous arrivons à démontrer le rôle de l’Armée, alors les militaires vont pointer du doigt les fonctionnaires et politiciens complices de tout ce qui a été fait. Le temps emporte toujours la vérité. Que nos compagnons soient vivants ou morts, le responsable est l’État » (9)
« Ici au Mexique, nous devons nous réveiller, nous sommes dans une situation à la limite du supportable et nous nous sommes contenus depuis trois mois et demi. Si la violence avait été notre volonté, alors nous l’aurions employée dès le début. Cependant, bien qu’ayant épuisé toutes les voix légales institutionnelles, nous n’avons pas eu de réponse claire, alors nous sommes aux limites du tolérable » (10) a conclu Omar García, étudiant d’Ayotzinapa et survivant des 26 et 27 septembre à Iguala.
La lucha sigue
Face au mépris total du gouvernement mexicain, face à sa volonté de tourner en rond sans donner de réponses, les parents ont dû trouver d’autres mécanismes et alternatives pour retrouver leurs enfants en vie. Ils ont élaboré un plan de recherche populaire, en se tournant vers ceux d’en bas, vers la société civile, en même temps ils ont demandé le soutien de la police communautaire car la situation n’est pas facile surtout quand il s’agit de traverser des endroits risqués, là où le crime organisé contrôle plusieurs régions. La recherche populaire s’avère la seule solution crédible face au manque de résultats donnés par le Bureau du Procureur Général de la République, à vrai dire, ils ne font pas confiance au gouvernement, ni à sa justice, ni à sa loi. (11)
Depuis le début des mobilisations, l’étudiant Omar García a insisté sur le fait que la violence et l’impunité ne concernent pas seulement Ayotzinapa ou l’État de Guerrero, mais tout le Mexique. Il a posé la question : « Qu’allons-nous faire de ce pays ? Et surtout, qu’allons-nous faire contre eux ?»
« Nous sommes déterminés à parvenir à nos fins, nous sommes des paysans et nous restons inflexibles face au discours du gouvernement qui prétend tout résoudre avec ses lois, alors que cette légalité ne défend que ceux d’en haut. Merde à sa légalité ! Elle ne nous convient pas. », a-t-il dit. (12)
Le 26 janvier cela fera 4 mois que les 43 étudiants d’Ayotzinapa ont disparu.
Malgré l’augmentation des disparitions et les nombreuses demandes des familles des disparus pour une prise en charge sérieuse des cas, le Mexique ne dispose pas d’un plan national de recherche des personnes disparues. Selon certaines informations récentes, entre août 2014 et octobre dernier, il y a eu au moins 1281 personnes disparues, ce qui veut dire 14 personnes disparues par jour. Le mois d’octobre 2014 le gouvernement fédéral donnait le chiffre de 23 603 personnes portées disparues. (13)
À propos de l’inefficacité gouvernementale dans cette affaire, Omar Garcia signale : « Le Bureau du Procureur Général de la République peut essayer ce qu’il veut, mais Ayotzinapa ne s’oublie et ne s’oubliera jamais. Notre plan est de fouiller toutes les casernes militaires. Nous n’allons pas nous arrêter à la caserne d’Iguala, nous allons continuer la lutte même s’il s’avère que nos compagnons sont morts. Il ne s’agit pas de 43, mais de milliers de disparus au Mexique » (14)
Résumé et traduction Les trois passants et Caracol Solidario
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Sources :
1) Média dominant : La Jornada, 14 de enero de 2015
2) Enlace Zapatista
3,4,5) Tlachinollan: Agrede policía militar a familias de Ayotzinapa en manifestación frente al 27º batallón de Infantería en Iguala
6,7,8,9,) Média dominant: La Jornada, 18 de enero de 2015, « Debe abrirse línea de investigación que incluya al Ejército », exige Omar García
10) Tlachinollan: Agrede policía militar a familias de Ayotzinapa.Op. cit.
11) La búsqueda, CDH Tlachinollan
12) Média dominant: La Jornada, 7 de Noviembre de 2014, « Normalistas rechazan versión de la PGR; piden pruebas contundentes »
13) Média dominant: La Jornada, 18 de enero de 2015, « Pese al incremento del fenómeno, México carece de un plan nacional de búsqueda »
14) Média dominant: La Jornada, 18 de enero de 2015, « Debe abrirse línea de investigación »…Op.cit

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